un monde « empoissonné »

Audrey Bregou, L’observateur de l’Aube, 4 mai 2005

 

Alain Bresson expose ses poissons volants, créatures superbes luttant contre la société de consommation. A découvrir.

Alain Bresson est un être normal. Tout à fait normal. Mais il pousse parfois des coups de gueule.

Il expose au centre d’Art Passages une étrange collection qu’il appelle « ses poissons volants », bien qu’il leur donne tout un tas de noms d’oiseaux. Des êtres faits de branches peintes, de robes de caoutchouc, de ficelles. Pour les enfants des ateliers qui viennent au centre chaque semaine, c’est un monde fantastique que ces créatures mi-ange mi-démon, entre ciel, mer et terre. Alain Bresson ne compte pas passer son temps à tenter d’expliquer ses œuvres. « A trop vouloir tout expliquer, on flingue l’imaginaire » écrit-il d’ailleurs pour résumer sa philosophie.

Il donne son sentiment. Celui de la guerre entreprise à sa manière contre la société de consommation. « C’est une question de société. Il n’existe plus de poissons entiers, tout est pasteurisé. On ne les présente plus avec la tête. Avant, la nourriture faisait partie du décor, c’était un objet dans la maison ». Tout cela a bien changé et Alain Bresson, en observateur attentif, n’est pas des plus optimistes.

L’alimentation devient pure consommation

Alors avec ses créatures, il lance quelques coups de griffes et laisse à chacun le soin d’interpréter. D’ailleurs, certaines n’ont pas de titre. « Il n’y a pas de titre mais si vous pouviez en trouver un cela m’arrangerait bien » peut-on voir au-dessous d’une œuvre. Parfois, le message est bien plus clair.

Et l’homme inventa la soumission…

Une rangée de poissons crevés, par exemple, pendus par des ficelles. Cela s’appelle « HLM ». Entendez « Habitation linéaire médiocre ou hideux laid méchant ». Voilà qui est clair. Alain Bresson n’aime pas les compromis et refuse d’enfermer l’imagination dans des règles et dans des modes. « Nous sommes dans une société où il faut tout expliquer » se désespère l’artiste de l’Yonne. Pas nostalgique. Plutôt contemplateur et un brin idéaliste. Il évoque, souvenirs à l’appui, les valeurs simples et le bonheur des sociétés dites « en développement », en Afrique.

A sa manière, il se bat contre la soumission. N’est-ce pas d’ailleurs le rôle de l’artiste de défendre ses idées et de bousculer celles des autres. Pourtant lui-même a été boycotté. « Il faut rester indifférent ».

Le visiteur, lui, ne peut rester indifférent aux deux œuvres grandeur nature exposées à l’extérieur. Deux poissons géants. Ils s’appellent « Les chaînons manquants ». C’est ce lien inexplicable, dans l’histoire de la paléontologie, entre les animaux terrestres et les animaux marins. Lui les imagine poissons avec des pattes. Sur l’un d’eux, une chaise est posée et sur celle-ci un petit roi, mi-homme mi-poisson. « Et le chaînon manquant qui évoluait peinard inventa la soumissions ». Le message est clair, entre humour et ironie. L’homme a inventé sa propre soumission, s’est mis lui-même des menottes ? Il a inventé les chefs, la politique, l’aliénation… et la société de consommation. Alain Bresson ne broie pas du noir, il pointe, avec poésie, finesse et passion, une société qui a perdu la tête et perdu des valeurs simples : la solidarité, le bonheur, la jouissance et l’humanité. Cet artiste à contre-courant se fiche pas mal du regard des autres, puisque lui-même n’a pas choisi l’art. Cela s’est imposé à lui. Un peu comme son message s’impose à notre conscience et à notre regard sur notre existence.

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